Qui dit contractuel, dit juge ?

Gazette du Palais – 12/04/2016 – n° 14 – page 3

Le contrat sera-t-il encore demain la chose des parties ? Telle est l’interrogation de certains auteurs qui s’inquiètent de l’immixtion croissante du juge que devrait susciter la réforme du droit des obligations.

À première vue, la place accordée au juge au sein du futur nouveau Titre III du Livre III n’est plus celle d’un juge passif et contemplatif. Selon certaines prophéties doctrinales, les signes d’un tel « gouvernement des juges » sont nombreux. L’ordonnance lui octroie de nouveaux pouvoirs : réviser, réduire, requalifier, évincer… À ces pouvoirs, faisant du juge une « troisième partie » au contrat, il convient d’ajouter une pulvérisation des standards juridiques : raisonnable, suffisant, manifeste, excessif, bonne foi, intérêt général, intérêt privé, but, contenu, essentielle… Il devient impensable aujourd’hui d’adresser à nos magistrats un « sois juge et tais-toi ». Il devient impossible de réduire leur fonction à celle d’une « bouche qui prononce les paroles de la loi ». Il devient improbable de vouloir limiter leur raisonnement à celui d’un syllogisme formel… Alors qui dit contractuel, dit juge ? Pas nécessairement. Un autre récit est envisageable ; celui où, au contraire, la réforme serait le signe d’un retrait du juge.

Sous cet angle, le juge n’est pas plus présent au sein du nouveau droit des contrats, bien au contraire. La saisine du juge est devenue une mesure ultime. Les parties doivent comprendre que la justice, y compris contractuelle, doit désormais se faire hors le juge. Loin d’augmenter les pouvoirs du juge, l’ordonnance ne cesse d’accroître ceux des parties : réduction unilatérale du prix avant paiement, résolution par notification, exception d’inexécution par anticipation, résolution de plein droit en cas de force majeure, faculté de remplacement hors le juge… À ces pouvoirs croissants des parties, il convient d’ajouter le principe selon lequel tout ce qui n’est pas formellement impératif est supplétif, selon l’interprétation suggérée dans le Rapport remis au président de la République. Tout est négociable, éjectable, aménageable, modulable. C’est alors le contrat qui enfle et les clauses qui pullulent, symbole d’une « américanisation du droit des contrats ».

Dès lors, le juge n’est pas le grand gagnant de la réforme du droit des obligations. Il n’est pas le grand garant des engagements contractuels. Il s’avance tel un spectre qu’il faut éviter en raison des aléas qui gouvernent son champ d’intervention. Alors oui, dans ce deuxième scénario, le contrat de demain sera de moins en moins l’affaire du juge. Reste à savoir si ce contrat, affaire des parties, sera encore une bonne affaire pour toutes les parties !

On le voit les deux scenarii sont envisageables. Mais alors qui décidera du dénouement de cette histoire ? Non sans ironie : le juge ! Gageons que, si dire c’est faire, il saura bien dire et saura bien faire.

Ce contenu a été mis à jour le 5 décembre 2016 à 10 h 04 min.

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